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Loyers implicites : vers un retour en France, tel qu’avant 1965, à la taxation des loyers fictifs allant à l’encontre des « propriétaires » immobiliers en France ?

Depuis près de dix ans, les études françaises officielles (France Stratégie, INSEE, OFCE, etc.) s’enchainent les unes après les autres afin de montrer le potentiel intérêt d’un retour à la taxation des loyers implicites, aussi appelés « loyers imputés » ou « loyers fictifs ». Par définition, un loyer implicite ne représente nulle autre chose que l’estimation désignée de la valeur locative d’un bien immobilier qu’un « propriétaire » immobilier serait amené à payer pour un bien identique s’il en était locataire auprès d’autrui (à savoir un bailleur). Autrefois appliquée en France jusqu’en 1965, cette taxe a disparu du paysage économique français depuis lors. Pourtant, dans les milieux autorisés, un nombre grandissant d’opinions semblent peu à peu converger vers l’utilité d’un retour à la taxe sur la rente économique immobilière virtuelle. Bien que tout ceci vous semble probablement peu compréhensible à ce stade, le présent article est justement réalisé afin de présenter une vue d’ensemble d’un sujet aux multiples ramifications. Si vous êtes déjà « propriétaire » immobilier, ou que vous souhaitez le devenir prochainement, alors il semble plus que nécessaire de parcourir l’intégralité de cet article afin de pouvoir anticiper au mieux ce à quoi le futur de l’immobilier en France risque fort de ressembler prochainement, du point de vue fiscal notamment. Explications…

La perspective selon l’angle de l’INSEE (2024) …

D’après une revue nouvellement publiée par l’INSEE, à savoir « Économie et Statistique » n°541, un constat sans appel est évoqué par deux chercheurs au sein d’une étude. Intitulée « La non-imposition des loyers imputés : un cadeau pour Harpagon ? Une estimation dans le cas de la France », et datée du 08 février 2024, ladite étude fait part sans détour des supposés avantages d’un retour à cette taxe anciennement existante en France. Afin de ne pas babiller, il est nécessaire de rentrer dès à présent au coeur des propos tenus dans cette étude de plus de 20 pages, dont seuls les moments forts des conclusions sont partagés ci-dessous.

« Dans une perspective d’équité, nous avons souligné que la non‑imposition des loyers imputés profite principalement aux ménages les plus riches. Le rétablissement de l’impôt sur les loyers imputés en remplacement de la taxe foncière devrait accroître le coût d’usage des ménages les plus riches et faire diminuer celui des ménages aux revenus modestes.

[…] Dans le présent article, nous avons documenté comment la non‑imposition des loyers imputés représente une dépense fiscale significative, dont les principaux bénéficiaires sont les propriétaires occupants les plus riches et propriétaires de plein droit. Les loyers imputés représentent, comme on le voit dans les comptes nationaux français, la deuxième aide au logement par son montant (après les allocations logement). Par ailleurs, nous estimons que la hausse des prix du logement enregistrée dans les années 2000, qui a creusé l’écart de richesse entre les générations plus âgées et plus jeunes, devrait rouvrir le débat sur la possibilité de rétablir un impôt foncier par le biais de l’imposition des loyers imputés.

[…] d’autres simulations portent sur un scénario dans lequel la taxe foncière actuelle serait remplacée par un impôt sur les loyers imputés. Nos résultats indiquent que ce changement de fiscalité ferait diminuer l’impôt actuel pour les quatre déciles [soit 40%, un décile représente 10%] de revenus les plus modestes et constituerait une politique alternative beaucoup plus viable qui augmenterait les impôts des autres déciles [soit 60%, ou 6 déciles] dans une moindre mesure.

Les changements survenus depuis 2010 tendent à renforcer nos conclusions : la baisse des taux d’intérêt enregistrée jusqu’en 2020 pourrait accroître les recettes fiscales potentielles tirées du rétablissement de l’impôt sur les loyers imputés, tandis que le relèvement de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, qui est passée de 41 % à 45 % en 2013, a probablement accru davantage la taille relative de la subvention reçue par les ménages les plus riches.

[…] Dans la pratique, un nouvel ensemble de politiques incluant le rétablissement de l’imposition des loyers imputés pourrait, dans une certaine mesure, mettre fin à une subvention qui favorise les ménages les plus riches, ceux‑ci ayant bénéficié dans les années 2000 de plus‑values sans précédent qui ont créé des inégalités intergénérationnelles, perpétuées par des dons entre vifs ou des héritages transférés à des proches, creusant les inégalités intragénérationnelles en France.

[…] De plus, sachant que les inégalités intergénérationnelles et intragénérationnelles augmentent dans le monde, cette évaluation a une portée allant au‑delà du seul contexte français. »

… Et sous l’angle de France Stratégie (2016, dans le cadre de l’agenda 2017-2027)

Antérieurement à l’étude de l’INSEE susmentionnée datant de début février 2024, une étude analysant la portée de la restructuration de la fiscalité de la « possession » immobilière fût publiée en décembre 2016 par l’institut de recherche France Stratégie, qui n’est autre qu’ « une institution autonome placée auprès du Premier ministre » et qui « contribue à l’action publique par ses analyses et ses propositions », d’après le site du gouvernement. Intitulée « Quelle fiscalité pour le logement ? », cette étude possède ainsi une étroite proximité avec le gouvernement français compte-tenu des liens évidents et explicites entre l’institution et l’État. D’où la nécessité, pour Scylla Investment et les lecteurs du site, d’également porter intérêt aux contenus de l’étude puisque cette dernière est essentiellement directrice et orientée vers le sujet du jour. De ce fait, voici les extraits les plus pertinents.

« La fiscalité du patrimoine immobilier, en France, favorise beaucoup la détention d’une résidence principale et encourage l’investissement locatif au coup par coup, à l’aide de dispositifs spécifiques. Cumulée à un niveau élevé de taxation des transactions, elle conduit à décourager les mobilités résidentielles. C’est ainsi que la résidence principale fait l’objet d’un abattement de 30 % sur sa valeur pour le calcul de l’impôt de solidarité sur la fortune et est totalement exonérée d’impôt sur les plus-values. La taxe foncière sur les propriétés bâties, qui rapporte environ 20 milliards d’euros, est, elle, payée par tous les propriétaires et correspond en principe à une taxation des loyers implicites que l’on pourrait tirer de la location du bien.

[…] Lorsqu’il est détenu sous la forme d’un patrimoine immobilier utilisé de manière durable pour la résidence principale, le capital est donc faiblement taxé. Or, ces trente dernières années, le taux de détention de la résidence principale a nettement progressé chez les plus de 60 ans alors qu’il stagnait chez les moins de 50 ans.

[…] Il est donc souhaitable de remettre à plat notre fiscalité de l’immobilier, en ayant pour double objectif de lever des freins à la mobilité résidentielle et d’assurer que les ménages soient mis à contribution à proportion de leur capacité, quel que soit leur statut d’occupation en matière de logement.

[…] Au vu de ces constats, quatre options de réforme de la fiscalité du logement peuvent être envisagées. Étant donné l’ampleur des transferts entre ménages et entre administrations publiques qui résulterait des réformes discutées ici, celles-ci devraient être précédées d’une étude d’impact détaillée et faire l’objet d’une montée en charge progressive.

Option 1 : Pour les locataires, rendre les loyers versés déductibles du revenu fiscal ; augmenter en parallèle les taux d’imposition pour maintenir le niveau des recettes fiscales globales.

[…] Option 2 : Refondre la taxe foncière et défiscaliser les revenus fonciers.

[…] Option 3 : Supprimer la taxe foncière et assujettir les loyers implicites aux prélèvements sociaux et à l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

La troisième option est en miroir de la deuxième. Ici, c’est la taxe foncière qui serait supprimée. En revanche, les loyers implicites seraient, comme les loyers perçus par les bailleurs, assujettis aux prélèvements sociaux (15,5 %) et à l’impôt sur le revenu. Ces loyers implicites pourraient être calculés selon des méthodes hédoniques, à partir des caractéristiques du bien. Ils sont aujourd’hui estimés à 141 milliards d’euros pour les résidences principales et à 21 milliards d’euros pour les résidences secondaires. Cette réforme présenterait l’avantage de taxer tous les revenus du capital au même taux… à condition de faire abstraction des nombreux régimes particuliers existant pour les revenus mobiliers.

[…] Cette option présenterait l’inconvénient, évoqué plus haut, de devoir introduire la notion de loyer implicite, qui suscite beaucoup d’incompréhension, voire d’hostilité dans l’opinion, même si la taxation des loyers implicites existe ailleurs et a existé en France jusqu’en 1965, et si chacun peut comprendre qu’à revenu monétaire identique un propriétaire occupant son logement bénéficie d’un niveau de vie supérieur à celui d’une personne locataire.

[…] Option 4 : En complément des options précédentes, supprimer les droits de mutation. »

Conclusions

En 2016, un article de BFM TV expliquait déjà que « l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques) vient à son tour de préconiser la ‘taxation des loyers implicites’. Il s’agit d’ajouter un revenu fictif aux propriétaires correspondant aux montant des loyers qu’ils paieraient pour occuper leur logement. Et de fiscaliser ce revenu. Cette ‘taxe’ a d’ailleurs déjà existé en France, de 1914 à 1964, jusqu’à ce que Valéry Giscard D’Estaing l’abroge 1965 ».

Depuis près d’une décennie, et toujours actuellement, nombreux sont les éléments (études ou articles de presse) relançant pluri-annuellement ce débat autour du retour de la taxation des loyers implicites. Par ailleurs, nombreuses sont les institutions officielles et d’importance conséquente à échelle du pays (France Stratégie, INSEE, OFCE, etc.) à plébisciter un tel retour, donnant par la même occasion un véritable engouement et une force certaine à cette idée de plus en plus mise en avant.

Afin de faire écho à un précédent article de Scylla Investment, il semble à nouveau pertinent de rappeler que la règle n°1 déterminée par l’Agenda 2030 du Forum Économique Mondial est : « Vous ne posséderez rien et vous [en] serez heureux » (source : Forum Économique Mondial, voir ci-dessous).

Selon Scylla Investment, l’immobilier n’a jamais eu ni pour vocation ni pour intention d’être un vecteur d’investissement, en ce qu’il n’en a ni les qualités ni les attributions. Tel qu’évoqué dans un précédent article du site, Immobilier : est-ce « un produit bancaire que personne ne devrait acheter » ?, l’immobilier a simplement été un excellent vecteur de prêt mis en place par les banques à des fins purement pécuniaires. C’est pourquoi nombreuses sont les institutions (banques, fonds financiers, gouvernements, etc.) qui ont laissé, en de multiples reprises, la spéculation avoir raison de ce marché ô combien sous pression (fiscale, sociale, politique, juridique, etc.). Toutefois, il semble désormais plus que d’actualité de dire que la supposée notion de « propriété immobilière » tend (c.f. précédents articles de Scylla Investment sur l’immobilier), de près ou de loin, à disparaitre du paysage d’ici quelques années.

Pour terminer, il serait effectivement tout à fait utopique de penser que les élites intellectuelles – infléchissant directement les élites politiques qui les financent – font couler autant d’encre autour d’un tel sujet, lors d’une aussi longue durée, avec un tel niveau d’influence et avec des enjeux aussi considérables, pour ne pas voir leurs idées in fine se matérialiser.