CET ARTICLE EST LE RÉSULTAT D’UNE TRADUCTION (RÉALISÉE PAR SCYLLA INVESTMENT) DE L’ARTICLE DU SITE THEGUARDIAN.COM INTITULÉ “The end of landlords: the surprisingly simple solution to the UK housing crisis” DATANT DU 19 MARS 2024 ET ÉCRIT PAR NICK BANO, AVOCAT SPÉCIALISÉ DANS LES DROITS DES LOCATAIRES ET SANS-ABRI.
LES PROPOS EXPRIMÉS DANS CET ARTICLE N’ONT AUCUNEMENT VOCATION À REPRÉSENTER OU FAIRE VALOIR LES OPINIONS DU SITE SCYLLAINVESTMENT.COM ET CONSTITUENT SEULEMENT UNE MISE EN PERSPECTIVE D’UN SUJET D’AMPLEUR QU’EST CELUI DU LOGEMENT, AINSI QUE DE SON ÉVOLUTION SOCIO-ÉCONOMIQUE PROBABLE À VENIR.
« La construction de logements à grande échelle n’est pas nécessaire : le parc de logements est déjà suffisant. Mais nous devons tirer les enseignements du siècle dernier en matière de propriétaire foncier.
S’exprimant contre le projet de loi de réforme des locataires de son propre gouvernement l’automne dernier, le grand conservateur Sir Edward Leigh a déclaré aux députés : ‘J’ai pu acheter ma première maison – même si cela a été un peu difficile – pour 25 000 £ [livres sterling]. Les opportunités pour les jeunes sont si difficiles maintenant’. Les jeunes sont ‘extrêmement dépendants du secteur locatif’, a reconnu Leigh ; mais le problème, selon lui, est celui de l’offre : ‘Nous devons construire beaucoup plus de logements et nous devons libérer le secteur locatif’.
Ce qui ne semble jamais venir à l’esprit de Sir Leigh, de ses collègues parlementaires, ni même de toute sa génération, c’est d’examiner sérieusement ce qui a changé entre leur époque et la nôtre. Les prochaines élections générales seront probablement une fois de plus dominées par des allégations concernant une pénurie de logements et un besoin urgent de construire davantage de logements. La construction de logements est un article de foi dans tout le spectre politique.
Cependant, les preuves ne soutiennent aucunement cette réflexion. Bien au contraire. En effet, au cours des 25 dernières années, il y a non seulement eu un excédent constant de logements par ménage, mais le ratio a légèrement augmenté alors que nos conditions de vie se sont considérablement dégradées. À Londres, comme le note le blog Conservative Home, il y a une terrible crise du logement ‘bien que sa population [vivant à Londres] soit à peu près la même qu’il y a 70 ans’, lorsque la ville était encore largement endommagée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
Eu égard aux pays membres de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), le Royaume-Uni possède à peu près dans le nombre moyen de logements par habitant : 468 pour 1 000 habitants en 2019. Il s’agit d’un nombre de logements comparable à celui des Pays-Bas, de la Hongrie ou du Canada, et le parc de logements britannique dépasse de loin celui de nombreux pays plus abordables tels la Pologne, la Slovénie et la République tchèque. Il est impossible de justifier des niveaux uniques de pénurie de logements en Grande-Bretagne, en termes comparatifs internationaux ou historiques. Ce qui a changé pour le pire, en revanche, ce n’est pas le nombre de logements par ménage, mais leur coût. Et le coût, à son tour, a beaucoup à voir avec le régime foncier qui est au cœur de la crise actuelle.
Au cours des années 1970, lorsque les contemporains de Leigh achetaient leur première maison, ils étaient les bénéficiaires directs de l’implosion du marché locatif privé. Le contrôle des loyers, les locations sécurisées et les taux d’intérêt élevés ont conspiré afin de décimer le secteur [locatif], qui est passé d’une représentation de près de 60 % des logements en Angleterre (et au Pays de Galles) en 1939 à seulement 9 % en 1988, vers la fin du mandat de Margaret Thatcher. Cela a été bien accueilli par les gouvernements conservateurs et travaillistes, en ce que les premiers se sont réjouis que les propriétaires locataires soient obligés de vendre à de nouveaux propriétaires occupants, et que les seconds ont réaffecté avec beaucoup d’entrain les locations privées existantes en un nouveau parc de logements sociaux.
Le projet de ‘municipalisation’ du secteur privé a bénéficié du soutien de tous les partis. Avec des propriétaires désespérés de vendre et des municipalités ayant accès à des prêts et subventions publics préférentiels, il n’y avait pas même besoin de forcer les achats ; et les parcs de logements sociaux ont pu croître à moindre coût, de manière durable et sans qu’une seule nouvelle brique soit posée.
[…]
Rien qu’en 1973 et 1974, le conseil de Camden a acquis plus de 4 000 logements loués à des particuliers par le biais de ventes volontaires, ce qui a réduit d’un seul coup le secteur locatif privé de l’arrondissement de Londres d’environ 10%. Un article contemporain proposait la municipalisation comme une voie vers ‘la fin du propriétaire foncier à Londres’, expliquant que ‘avec un engagement, cela pourrait être réalisé en six ans – ce serait facile à faire en 10’.
Et, bien sûr, il y a eu une hausse du nombre de propriétaires-occupants, à mesure que la génération de Leigh dépossédait les propriétaires honnis de l’ère post-Rachman. En fait, la première utilisation du mot « gentrification », dans les années 1960, visait à décrire ce phénomène de remplacement de la misère des logements locatifs urbains par une nouvelle classe de propriétaires-occupants plus jeunes. Au lieu (comme c’est le cas aujourd’hui) d’évoquer le massacre rituel des logements sociaux et l’élimination des pauvres urbains, la gentrification précoce a été compensée par des conseils radicaux – tels qu’à Lambeth – visant à obtenir un excédent de logements sociaux de haute qualité afin de mettre fin aux listes d’attente et aux critères de qualification.
Même le département d’éducation politique des conservateurs n’avait aucune objection réelle à une nouvelle réduction du (petit) secteur privé loué qui existait [encore] dans les années 1970. Il écrit que ‘le déclin accéléré du secteur de la location privée est tout à fait irréversible. Le propriétaire privé, tel qu’il existe aujourd’hui et tel qu’il a existé, sera, d’ici une génération, presque aussi éteint que le dinosaure. Il n’y a rien à faire contre cela’. Dans les années 1970, les conservateurs cherchaient simplement à maintenir de petits propriétaires insignifiants, devant avoir droit à un ‘juste retour’ s’ils louaient une ou deux chambres d’amis ; mais ils reconnaissaient [parallèlement] que la location privée tendait à être coûteuse, de mauvaise qualité et économiquement inutile pour loger la population. La mort imminente du régime de propriété foncière a été l’une des belles histoires du siècle dernier.
Mais la tâche que Thatcher et ses successeurs se sont fixés était d’annuler ces progrès. Le système actuel a été conçu, comme l’a souligné la Cour suprême dans la contestation des droits de l’homme d’un locataire en 2016, pour garantir que ‘la location d’une propriété privée redeviendra une proposition économique’. Il aurait dû être évident pour tout le monde qu’un marché qui avait obtenu des effets aussi positifs par son effondrement produirait des conséquences égales et opposées s’il était regonflé.
Nous nous trouvons désormais dans une situation où 1 adulte sur 21 au Royaume-Uni est propriétaire. Nous avons 4 fois plus de propriétaires que d’enseignants. En conséquence, pratiquement tout le monde a du mal à s’offrir un logement qui réponde à ses besoins malgré une quantité accrue de logements. Les propriétaires ont le droit de demander le loyer qu’ils pensent pouvoir obtenir, et des contrats précaires [moyen-âgeux] se fraient un chemin au travers des ‘droits des locataires’. C’est le marché dont Leigh, les propriétaires et les promoteurs veulent se ‘défausser’. Au lieu d’affronter l’horreur de notre situation et ses causes, ils prétendent qu’il existe une pénurie extraordinaire de logements. C’est tout simplement faux, comme le montrent les données internationales et historiques.
Comme aux États-Unis, le Royaume-Uni a été entraîné dans un débat stérile sur l’offre [de logement]. Il existe un conflit orchestré entre les ‘NIMBYS’ [Not In My Back-Yard, signifiant ‘Pas dans mon arrière-cour’] anti-construction et les « YIMBIS » [Yes In My Back-Yard, signifiant ‘Oui dans mon arrière-cour’] pro-construction, menés par d’énergiques abolitionnistes de la loi sur l’urbanisme qui cherchent à nous détourner du discours sur les véritables causes de la crise du logement actuelle. La question de l’offre continue de dominer le discours, même si les États-Unis comptent plus de logements par habitant qu’à aucun autre moment de leur histoire, et que le ratio de logements par habitant au Royaume-Uni dépasse en réalité celui des États-Unis.
Or, l’argument du YIMBY a toujours semblé fragile. Sa logique étrange est que des promoteurs spéculatifs construiraient des maisons afin de les dévaluer et que ces derniers agiraient d’une manière ou d’une autre contre leurs propres intérêts, en produisant suffisamment de logements excédentaires pour faire baisser le prix moyen des terrains et des logements. Ce serait un comportement étonnamment philanthropique.
En se plaignant, à juste titre, du fait que des villes comme Vienne [en Autriche] sont bien plus vivables que n’importe quelle autre ville de Grande-Bretagne, il faut aussi reconnaître que le régime des propriétaires fonciers freine le Royaume-Uni. L’entêtement britannique visant à mener des politiques garantissant que la location de propriétés privées est une ‘proposition économique’ fait non seulement monter les prix pour les futurs propriétaires, mais elle s’oppose directement à un programme de municipalisation et de démarchandisation des logements déjà existants. Cela gonfle également la valeur des terrains, rendant irréalisables les nouveaux projets de construction menés par l’État. Si nous voulons une existence similaire à la ville de Vienne, il est nécessaire de chasser les propriétaires, comme le Royaume-Uni l’a fait il y a 50 ans. Ce qui semble juste, car ils [les propriétaires] en ont déjà bien profité.
Malgré une crise du logement qui s’aggrave chaque jour, le gouvernement a indiqué que ses modestes réformes du secteur locatif privé en Angleterre, proposées en 2019, ne seront pas mises en œuvre dans un avenir proche. Nous sommes tellement redevables envers les propriétaires – qui crient au loup – que le Parlement a passé 5 ans à ne pas faire la seule chose qui, en 2019, mettait d’accord l’ensemble des partis politiques britanniques.
La résolution de la crise du logement ne nécessite pas nécessairement un projet écologiquement impardonnable de construction de logements à grande échelle. Cela n’implique pas nécessairement d’asphalter des zones vertes, de détruire des équipements précieux en les « remblayant », de convertir des immeubles de bureaux en appartements ou de gaspiller l’argent du gouvernement dans des projets chimériques d’accession à la propriété. Nous devons simplement réapprendre les leçons du siècle dernier, à savoir reconnaître que le propriétaire [immobilier] est l’ennemi du logement abordable et veiller à ce que l’économie du logement ne soit pas définie par les rendements locatifs stupéfiants que le marché [britannique] non réglementé peut produire.
[…]
Là où Adam Smith et Karl Marx ont trouvé un terrain d’entente, c’est dans l’idée que les intérêts de chacun s’opposent à ceux des propriétaires, [ces derniers] constituant un poids mort économique. Même en laissant de côté les conditions épouvantables et la précarité auxquelles sont confrontés les locataires privés, quiconque a intérêt à réduire les impôts, à réduire la masse salariale et à augmenter le nombre de primo-accédants doit également être intéressé à réduire en miettes le secteur locatif privé. Les personnes voulant acheter des maisons sont désormais contraints de devoir rivaliser avec les propriétaires recherchant des rendements sensationnels sur le marché locatif non réglementé, avec 85,6 milliards de livres sterling par an (qui proviennent bien sûr des salaires et des impôts) gaspillés en loyer. Un nouvel effondrement du régime des propriétaires ne représenterait pas seulement une revanche des locataires sur la crise du logement, mais aussi un moment de progrès social beaucoup plus vaste et plus précieux ».