La plus grave crise financière depuis 1929 a commencé lorsque le monde a pris conscience de l’ampleur de la sur-allocation du capital des marchés immobiliers américain, irlandais, espagnol, et anglais. Progressif, dans un premier temps, puis brutal, ensuite. Les quartiers désertés présents dans ces pays sont le pur symbole de ce qui n’aurait jamais dû arriver dans une économie de marchés efficients.
Les banques ainsi que les marchés financiers auraient dû encourager l’allocation de l’épargne en direction des projets d’investissement les plus utiles pour la population. Dans le cas de la plupart des observateurs, la crise de 2007-2008 est apparue comme un événement exceptionnel, une conjonction presque impensable de malchances et une somme de défaillances mineures.
Un rappel historique des faits permet d’infirmer fortement cette croyance.
Les bulles immobilières du point de vue historique
C. Reinhart et K. Rogoff, économistes américains, ont publié en 2009 une compilation de l’historique des crises mondiales des huit précédents siècles dans un ouvrage intitulé : This Time is Different. Eight Centuries of Financial Folly. Cet ouvrage fait indiscutablement autorité depuis sa parution en ce qu’il était le premier à réellement se pencher sur ces questions-ci. En effet, les deux économistes ont mis à disposition des données encore jamais étudiées jusque-là.
Dans un tableau, Reinhart & Rogoff étudient les prix de l’immobilier à des dates proches des grandes crises bancaires du siècle précédent. Cet inventaire, très fourni, est pourtant loin d’être complet puisqu’il manque par exemple la très fameuse crise des “Savings and Loans” qui s’est produite aux États-Unis de 1986 à 1996. En sus, il manque également les crises qui ne se sont pas suivies d’une insolvabilité (de tout ou partie) du secteur bancaire (ex : le krach immobilier à Paris en 1991 lors duquel les prix chutèrent de 30 % (c.f. Jacques Friggit)).
Pourtant, dans cet ouvrage, les études de cas démontrent que l’immobilier est bien souvent au cœur des problèmes.
Le Japon a connu une immense bulle immobilière après la libéralisation financière (années 1970-1980) dont l’explosion a eu pour conséquence plus d’une décennie de croissance inexistante et de déflation.
La crise des “Savings and Loans” était également une crise du financement hypothécaire. Dans un article intitulé Housing IS the business cycle, l’économiste américain Edward Leamer prouve même que l’ensemble des faiblesses de la croissance américaine depuis la seconde guerre mondiale ont été précédées par une faiblesse de l’investissement résidentiel quelques trimestres plus tôt.
L’ouvrage de Reinhart & Rogoff prouve à quel point se trompent les propriétaires qui pensent se protéger contre les vicissitudes des marchés financiers en privilégiant l’investissement dans la “pierre” aux “marchés financiers”.
Alors que la participation directe des foyers aux marchés dits “actions” est restreinte en raison de leur aversion aux risques, peu de (nouveaux) propriétaires réalisent le risque représenté par un investissement immobilier. A titre indicatif, les variations possibles des prix sur les marchés immobiliers sont de l’ordre de 40 % à un horizon de huit ans, donc similaires à celles constatées sur les marchés “actions”. Lors des quarante dernières années, les bulles de crédit entrainant des crises immobilières se sont simplement faites de plus en plus fréquentes.
Il est presque à se demander si les excès de liquidités n’auraient pas tendance à se fixer majoritairement sur les marchés immobiliers, signe que le système capitaliste ne serait pas en mesure de générer suffisamment de possibilités d’investissements et que, faute d’inspiration, les investisseurs se tourneraient vers « la pierre ». La seule exception des quarante dernières années demeure la bulle des “dot-com” (valeurs technologiques) du début des années 2000.
Depuis près d’un-demi siècle, tout se produit comme si l’exubérance s’était exclusivement portée sur le secteur immobilier, quand bien même les services que rend le logement sont bien connus et relativement prévisibles.
Bulles immobilières, quelles conséquences ?
Le bon fonctionnement des banques est intimement lié à l’état du marché immobilier puisque le prêt pour l’habitat constitue une part prépondérante de l’activité bancaire.
Aux États-Unis, par exemple, il est nécessaire d’anticiper les prix de l’immobilier à venir car les ménages peuvent ne pas rembourser leurs prêts et choisir de revendre leurs logements aux banques. La raison majeure pour laquelle l’immobilier suramplifie – quand il ne cause pas – les crises économiques est le rôle de clé de voûte qu’il joue dans le financement de l’économie.
L’économiste Joseph Stiglitz a montré qu’il ne suffit pas d’avoir un projet rentable pour le voir automatiquement financé. En effet, il faut aussi apporter du capital personnel, aussi bien afin de montrer que l’on encourage les chances de réussite de son projet ainsi que d’apporter la perspective de pouvoir perdre sa “mise de départ”.
L’immobilier constitue une bonne garantie pour les investisseurs. Sur le plan quantitatif, il représente près de la moitié du capital physique dans le monde et, sur le plan qualitatif, une maison vaut à peu de choses près le même montant pour le financeur que pour le financé. Ce dernier point diffère des capitaux d’une entreprise dont la valeur dépend davantage de la personne par qui l’entreprise est dirigée.
L’immobilier représente donc un collatéral de choix et il est utilisé comme tel dans de très nombreux projets d’investissement. Mais il n’y a pas que l’investissement productif qui soit touché par les prix de l’immobilier. Dans les pays anglo-saxons, par exemple, la consommation fût soutenue par le mécanisme appelé “extraction hypothécaire”, ce qui consistait simplement pour les ménages à “monétiser” les plus-values latentes réalisées quant à la détention de leurs logements.
Pourquoi une telle volatilité des marchés immobiliers ?
Les cycles dits de “long terme” des biens immobiliers sont renforcés par le fait qu’un pari à la baisse sur un actif immobilier n’est envisageable que dans la mesure où l’on en possède déjà un. Selon l’hypothèse des “marchés efficients”, tout actif financier est évalué par les investisseurs à sa valeur fondamentale.
Toutefois, les actifs immobiliers peuvent diverger avec aisance de leur valeur fondamentale si on réfléchit à tout ce à quoi un investisseur, rationnel, est en mesure de penser pour arbitrer son choix entre achat et location : 1) anticiper son emploi futur ; 2) anticiper ses besoins de mobilité futurs ; 3) la volonté (ou non) d’avoir un logement plus grand ; 4) l’évolution des taux d’intérêts à 30 ans ; 5) l’évolution de la politique monétaire ; 6) la politique foncière des collectivités locales du pays, etc.
Ces éléments tiennent à un ensemble de facteurs compilables comme suit : en matière d’immobilier, les échanges sont décentralisés, (très) peu fréquents, les biens peu comparables entre eux et les critères d’appréciation changent dans le temps.
Étant donné la place occupée par l’immobilier dans l’économie “capitaliste” moderne, il est étonnant de constater qu’aucune étude (ou presque) n’avait été réalisée sur la variation des prix de l’immobilier proche des crises financières avant le travail fondateur de Reinhart & Rogoff.
A la suite de la crise des subprime, les organisations internationales ont commencé à prendre conscience de l’importance de ces données, autant pour le régulateur que l’investisseur particulier.
Conclusions
On entend fréquemment dire que la crise des subprime s’est produite des suites de prêts bancaires trop importants à des personnes qui étaient insolvables. Mais il faut garder en mémoire que “rembourser”, dans les circonstances d’un crédit immobilier, c’est en réalité épargner et constituer un capital, à savoir le logement en question. Il arrive même que certains contrats financiers permettent de ne rien payer les premiers mois.
Le discours politique est également flou : que voulait-on encourager en facilitant l’accès à la propriété aux plus démunis ? Une épargne importante pour les vieux jours ? Ou bien le logement était-il implicitement considéré comme un bien de consommation de base et non comme une épargne ?
Trop d’importance a probablement été accordée aux caractéristiques spécifiques de la crise financière des subprime, et pas suffisamment au fait que l’immobilier est en lui-même une source majeure de risque systémique. Les caisses d’épargne espagnoles, par exemple, qui représentaient une alternative au financement classique par les marchés, ont été tout autant touchées que les banques américaines lors du retournement du marché immobilier.
[…] un précédent article, les travaux des deux économistes que sont Reinhard et Rogoff ont été présentés afin de faire […]