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Monnaies : valent-elles vraiment quelque chose ?

Cet article est un résumé des résultats d’études de Charles Gave, économiste et essayiste français, dont l’article original est consultable ici.

Qu’est-ce qu’une monnaie ?

Tout d’abord, il est important de rappeler qu’une monnaie doit impérativement réunir trois fonctions : instrument d’échange, étalon de valeur et réserve de valeur.

La réserve de valeur des monnaies, associant donc la notion de temps à celle de valeur, est cependant énormément mise à mal (pour ne pas dire inexistante) depuis la fin de l’étalon-or en 1971 et, à fortiori, depuis le début des Assouplissements Quantitatifs (QE) des Banques Centrales ainsi que de l’instauration des taux d’intérêts négatifs. En effet, ces politiques “de monnaie hélicoptère” empêchent tout bonnement les agents économiques d’intégrer la notion de temps à celle d’argent.

L’importance de ce point-là est cruciale. Dans la mesure où une monnaie n’intègre plus le temps dans sa logique de fonctionnement, puisque les taux d’intérêts ne sont plus le reflet des prix de marché (et donc faux), alors la conséquence est la suivante : une même monnaie ne peut plus être à la fois un étalon de valeur pour l’ensemble des biens et services. Problème ? Oui, puisque cela nécessite l’utilisation d’au moins deux monnaies distinctes au sein d’un même système économique : une monnaie à utilisation temporelle courte (achat baguette de pain, essence, etc.) et une monnaie à utilisation temporelle longue (achat immobilier, voiture, etc.)

Problème, encore ? Une des monnaies prendra invariablement et naturellement le pas sur l’autre dans le cas de l’épargne, de la thésaurisation. Ce schéma est déjà existant en Asie, où les gouvernements émettent leur propre monnaie pour les petites transactions et où le dollar US ($) prend le relais pour les transactions plus conséquentes.

Bonne ou mauvaise monnaie ?

Le mode de fonctionnement précité va de facto suivre la Loi de Gresham : “la mauvaise monnaie chasse la bonne”. Étant donné que tout un chacun sera tenté autant que faire se peut de garder la “bonne” monnaie, la plus forte et la plus sécurisante, alors celle-ci disparaitra rapidement du marché pour ne laisser place qu’à la “mauvaise” monnaie. Sur le moyen terme, on observe une augmentation du cours de la “bonne” monnaie.

Or, les choses se compliquent lorsque le cours des actions est à évaluer. S’il l’est dans la “mauvaise” monnaie que les foyers détiennent, alors l’impression de s’être fortement enrichi est réjouissante. Pour autant, la mesure du cours des mêmes actions dans la “bonne” monnaie laisse place à un constat d’appauvrissement.

Un graphique particulièrement évocateur, de M. Gave, est repris ci-après à des fins d’illustration du précédent propos :

Que montre ce graphique ? Simplement que, aussi étrange que cela puisse paraître, le S&P 500 (marché des actions US) a baissé en étalon OR (-16% depuis 1970) alors qu’il a été multiplié par plus de 43 en étalon DOLLAR US ($).

Pendant ce temps-là, l’agent économique plaçant son argent sur le S&P 500 en dollar US ($) touchait des dividendes et a connu deux principaux marchés haussiers : 1980 à 2000 et 2011 à 2019 (zones vertes sur le graphique).

Pour l’agent économique, le plus intéressant est de savoir à quel moment il se situe en zone verte (réellement haussière) ou blanche (réellement baissière) … si c’était si simple !

La référence : l’étalon OR !

Selon M. Gave, il apparaît un élément de choix pour l’agent économique : déterminer si UNE ou PLUSIEURS monnaies sont présentes en même temps dans le système national. En effet, si la monnaie nationale perd sa capacité de réserve de valeur, alors l’OR prend systématiquement le relais. Il semble donc opportun de mesurer très fréquemment le ratio entre les deux monnaies, à savoir la monnaie nationale contre l’OR (ex : Obligation américaine à 10 ans VS l’or)

Rappelez-vous la Loi de Gresham : “la mauvaise monnaie chasse la bonne”. Partant de ce principe, alors la résultante du prix de la “bonne” monnaie doit tout bonnement par rapport au prix de la “mauvaise”.

En l’occurrence, le « prix » du dollar US ($) en fonction du temps n’est autre que la rentabilité totale d’une obligation (dette) émise par le gouvernement américain sur une période de 10 ans. Le prix de l’or, c’est son cours actuel, à un instant T.

Voici l’interprétation économique du ratio entre les deux prix depuis 1970, défini par la ligne bleue :

  1. La baisse, signifiant que les obligations US font mieux que l’or. Par conséquent, le système national possède une seule monnaie puisque le dollar constitue une meilleure réserve de valeur que l’or.
  2. La hausse, indiquant que l’or est cette fois-ci une meilleure réserve de valeur (étant donné qu’il monte par rapport à une obligation américaine). Cela témoigne du fait que la FED (Banque Centrale américaine) tente de subtiliser l’épargne des agents économiques. DONC, il convient de transformer en or toute affaire cessante.

La ligne rouge, quant à elle, n’est autre qu’une moyenne à 7 ans du ratio obligation US VS OR faisant office de “règle” de décision. Lorsque la ligne bleue se trouve au-dessus de la ligne rouge, alors mieux vaut de l’or et pas d’obligation US. A l’inverse, lorsque la ligne bleue est en-dessous de la ligne rouge, l’agent économique préfèrera des obligations à l’or.

Il est utile d’indiquer que les périodes dans lesquelles l’agent économique possède des obligations correspondent quasiment à l’identique de celles où il est bon d’avoir des actions puisque le marché est vraiment haussier sur les actions (voir premier graphique). Les lignes pointillées verticales (noires) indiquent ni plus ni moins le passage d’une période à une autre.

L’influence des taux d’intérêts et “l’euthanasie du rentier”

Les travaux de recherches présentés aujourd’hui ont amené M. Gave à quelques explications tout à fait logiques, et il convient d’en faire mention avant de livrer ses conclusions.

Selon lui, les taux d’intérêts trop bas (situation appelée “euthanasie du rentier”) seraient la cause du retour de l’or comme réserve de valeur et ne sauraient être autre chose qu’un impôt sur la constitution d’une épargne nouvelle. cette situation génère par la même occasion une baisse de l’épargne, de l’investissement, de la productivité et du niveau de vie moyen.

Outre cela, l’existence de monnaies en parallèle au sein d’un système national ferait naître une industrie (ingénierie financière, trading, etc.) avec pour seul but d’arbitrer entre lesdites monnaies, sans ajout de valeur aucun au système mais tout en coûtant du capital et du travail.

Enfin, il va sans dire que les taux d’intérêts trop bas accentuent le financement des déficits budgétaires et, donc, la croissance du poids de l’État dans son économie. Mais, comme aucune destruction (au sens Schumpeterien) n’est possible dans les affaires économiques gérées par l’État et que la rentabilité du capital investi par les autorités étatiques (ex : transferts sociaux) est négative, alors la hausse du poids dudit État est inexorablement suivie d’une baisse de la croissance économique et une hausse du chômage.

Conclusions

Vous l’aurez compris, cette étude raisonne avec l’or comme monnaie alternative, avec une possibilité pour le bitcoin de s’inscrire dans le schéma décrit.

Cependant, l’avantage de l’or sur le Bitcoin est qu’il (l’or) ne peut en aucun cas se retrouver à zéro, ce qui ne parait pas impossible pour le Bitcoin dans le cas d’une coupure d’Internet (ex : diktat politique), d’un manque d’énergie électrique, voire dans le cas d’un retour à l’étalon-or pour l’une des grandes monnaies mondiales.

Un tel but se dessine depuis plusieurs années pour la Chine et son Yuan.

De fait, la véritable alternative au Bitcoin semble être le marché obligataire Chinois à 10 ans.